La p'tite marge.

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ubik
le 15/10/2008
Bonjour,

Elle est petite, elle est étroite, elle peut passer inaperçue aux yeux des autres ( et il vaut mieux qu'il en soit ainsi )... mais la p'tite marge existe.

C'est à chacun de l'inventer. Non seulement il n'existe pas de recette en la matière, mais toute recette est éminemment suspecte. Nous sommes tous sur terre comme un panier de crabes, en quête de valeurs, d'identité, plus ou moins en quête de bonheur, de reconnaissance et que sais-je encore. Alors celui qui viendrait vous filer la recette, il faut le considérer de prime abord comme un de ceux qui cherchent à s'engouffrer dans la faille pour mieux nous aliéner : scientologues à la noix ( rien que le nom me fait bidonner, moi, je n'arrive pas à piger qu'ils puissent embarquer du monde et le berner avec un nom pareil, ça fait toc, incroyable ), gourous en tous genres, ou tout simplement coachs de tous poils qui cherchent avant tout à gagner de l'argent.

Mais en dépit de tous ceux qui la dévoient, la polluent, la ternissent, la petite marge existe. Elle peut se situer dans des choses très simples, que nous n'avons pas pensé à regarder avec suffisamment d'attention, que nous ne voyons plus, que nous avons oubliées...

Cette marge étroite, c'est celle d'incertitude, qui fait que si nous sommes déterminés par toutes sortes de facteurs, culturels, économiques et j'en passe, reste néanmoins une trame de variance, une zone floue qui est de l'ordre du privé et qui fait qu'à temps égal, on peut choisir de se coller devant sa télé pour ingurgiter une fois de plus les ricanements de Dechavanne ou d'écouter chanter comme des chèvres malades les gens de la star ac'... Ou bien décider d'aller s'asseoir cinq minutes dehors, dans un jardin, et de se laisser imprégner par le souffle léger du vent.

Les exemples seraient à multiplier à l'infini. Mais l'idée, elle, est simple : à chacun de trouver les petites choses qui lui permettent de se sentir bien en soi, et de se sentir exister. Non pas en s'alignant sur la connerie généralisée et les diktats de la mode ( du genre les nanas qui se donnent un mal de chien pour avoir les cheveux bien lisses et noirs, c'est la mode en ce moment ), non pas en portant les fringues à la mode ou en voulant à tout prix s'afficher avec tel ou tel copain qui a la cote en ce moment... En fait, ça peut être, pour certains, d'aller nager, renouer avec leur identité profonde et archaïque. Moi, quand je nage sous l'eau, je me sens bien et si je peux nager nu, ça n'en est que mieux. J'ai l'impression de renouer avec mes potes les poissons, de rétablir le lien entre eux et moi à travers la phylogenèse. Quand je prends mon saxo et que je bataille pour essayer de mémoriser les positions des différentes notes, je me sens bien, parce qu'apprendre le saxo est un truc en plus, le système est neutre vis-à-vis de ça, et de la façon dont je l'appréhende, c'est plus une démarche intellectuelle, un défi, un acte que j'ai posé, de totale initiative, et qui me permet d'employer mon intelligence à quelque chose d'intéressant, une situation où je suis actif, et non pas passif, vautré devant un programme télé abrutissant ou un jeu vidéo aliénant. Je n'y passe pas des heures mais quand je repose mon saxo, je suis content d'avoir réussi, tout doucement, à apprivoiser un peu plus l'instrument. Si je m'en sors bien, je pourrai par la suite, peut-être, partager avec les autres, proposer une création ou m'insérer dans un projet, même modeste.

Je me balade constamment avec mon appareil photo et je prends les vieilles portes, les issues condamnées avec des bouts de planches et de la récup en tous genres. Le grouillement des gouttières et des fils électriques m'interpelle. J'engrange plein d'images qui me servent de base, comme une sorte de jeu de Meccano géant, pour le travail ultérieur que j'effectue dans Photoshop. Cela non plus, comme le sax, ne m'a pas été demandé. C'est moi qui ai choisi d'y consacrer du temps.

Le temps est devenu une valeur fondamentale dans une société post industrielle comme la nôtre. On n'en a pas forcément beaucoup, mais le peu qu'on a, on le gâche souvent à des trucs idiots, qu'on se sent obligés de faire sous la pression sociale. Qu'on passe dans des soi-disant loisirs parce que ces activités nous ont été désignées comme telles. On se plaint que "ce soir il n'y a rien à la télé", mais qui nous empêche de l'éteindre, de faire autre chose ? Je vois des jeunes qui traînent et ne savent tellement pas quoi faire qu'ils finissent par faire des conneries, agresser les gens, foutre le feu aux poubelles... S'ils se donnaient la peine de travailler un instrument de musique, ça les occuperait et ça leur donnerait la possibilité de faire quelque chose de constructif ensemble, après.

Autour de moi, j'entends parler de gamins complètement aliénés par des jeux en ligne. Ils se relèvent en pleine nuit pour y jouer, y accumuler des sortes de points, passer des niveaux... Me fait penser à la scientologie, c'est aussi con, inutile et dévastateur. Et celui qui n'y joue pas, celui qui n'est pas abonné, est coupé des autres qui le traitent du coup comme un cave. La pression sociale, encore et toujours. Sommes-nous à ce point aliénés que nous ne puissions plus exister socialement que par le partage d'univers virtuels ?

Je ne dis pas que ce que je fais est précisément ce qu'il faut faire. Si je cite mes réactions, ce n'est qu'à titre d'exemple possible, en indiquant bien qu'il y en a sûrement d'autres. Le fait est que je récupère toutes sortes de zinzins pour bricoler, que ce soit dans l'utile ( se servir d'un truc pour le refaire marcher, tel quel ou dans une autre optique, du genre un moteur de machine à laver pour l'adapter sur une courroie qui ferait tourner un tour de potier ), ou dans l'esthétique ( il y a toutes sortes d'objets qu'on peut démonter pour en récupérer les composants et les intégrer dans des créations plastiques ). Le fait est que je compose des morceaux de musique avec l'ordinateur, je ne suis pas passif, en train de gober les fantasmes d'un autre, je suis actif, j'essaie de construire un truc qui soit pertinent, qui intègre mes options en matière d'harmonie, qui soit intéressant à écouter... Le fait est que je chope au vol des images et qu'elles me servent à créer des paysages improbables, dans une démarche de peinture qui rejoint le surréalisme... Mais ceci est élaboré. Des choses simples peuvent permettre de renouer avec une part plus immédiate de son moi profond : caresser un chien, lui parler, se mettre à l'écoute de l'animal, du plaisir qu'il a à être dorloté... Se balader au bord d'un ruisseau, ou dans la forêt, ou sur une plage en plein hiver, quand il fait gris... pour certains, ce sera se concentrer et tirer à l'arc. Faire des bonsaïs. Apprendre un kata compliqué, ou ne serait-ce qu'exécuter à la perfection un geste, quel qu'il soit. Regarder dans les yeux la personne qu'on aime et lui dire les mots les plus doux qu'on puisse trouver... S'immerger complètement dans la musique qu'on écoute ( là, maintenant, tout de suite, moi c'est Eberhard Weber, un type dont on ne trouve pas les disques et qui pourtant est un compositeur assez génial, bassiste de son état, avec un son fabuleux, qui a beaucoup joué avec Garbarek, Burton et autres )... Les chemins sont nombreux, ce sont des chemins de traverse, la p'tite marge est discrète. Pendant que des troupeaux entiers s'ébranlent, s'imaginent que le fin du fin est d'aller s'entasser en boîte pour aller écouter les tubes à la mode, se montrer, faire le beau, dans une ambiance où souvent les uns cherchent à disqualifier les autres, on peut choisir de faire autre chose, par exemple s'acheter un petit carnet et noter ce qu'on ressent, noter ses rêves par exemple. Embarquer une toile et quelques tubes, se coller dans un coin sympa et barbouiller, et à midi, se siffler un bon apéro et quelques tranches de sauciflard... le bonheur est dans le pré. Ou pas loin en tous cas.

Moins loin qu'on le croirait. Suffit de se donner la peine d'y réfléchir quelques instants, de se poser. Se demander ce qu'on pourrait faire de plus sympa, de plus intelligent, qui changerait un peu, pour une fois. Aider les autres, des fois, ça peut être enrichissant. Filer un coup de main au voisin qui bricole sa bagnole, ça peut permettre de mieux le connaître, de blaguer un peu, de rigoler, d'apprendre comment on fait, d'y piger quelque chose, et pas que techniquement.

Les exemples sont infinis.

Quand je me suis inscrit à l'activité poterie, je n'y connaissais rien. Une fois que j'ai intégré les contraintes spécifiques de la terre, j'ai tout détourné. Au lieu de fabriquer des cendriers ou des briques à vin, je me suis mis à sculpter des trucs bizarres, difficiles à décrire, qui font penser à une sorte d'art Toltèque post-moderne. Personne ne m'a dit de le faire, je surprends les gens et j'ai plus de ricanements que d'encouragements. Mais je m'en fous, je le fais, parce que ça me permet d'entrebailler la porte qui donne sur mon inconscient, et puis le résultat est là, qui m'interpelle, et même si je ne comprends pas toujours pourquoi j'ai fait ceci plutôt que cela, n'empêche que je l'ai fait, voilà.

Bon, j'en ai dit assez. A vous de trouver VOTRE truc et de vous y sentir bien.

A suivre.

Ubik.
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