Les temps changent.

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ubik
le 10/06/2009
Les événements se précipitèrent. En septembre de l’année suivante, nous étions en seconde année au gymnasium et un soir, en rentrant des cours, je trouvai mon père et Fritz Bauer en train de boire du schnaps. Ce dernier m’annonça triomphalement que son jeune cousin de Weimar, Baldur Von Schirach, avait été nommé à la tête des Hitlerjungend. Il fallait fêter ça.

Exceptionnellement, au lieu de m’offrir une grenadine, mon père me servit de l’alcool. Oncle Fritz me tapa dans le dos, admiratif. Tu as drôlement grandi, pris des forces, disait-il, et tu es bien beau en uniforme. Jusqu’alors, quand il m’avait félicité, j’avais toujours eu le sentiment que c’était par gentillesse. Ce jour-là, je sentis qu’il le pensait réellement. Je n’étais plus un petit garçon, je devenais un adolescent, ou en tous cas je me situais à la frange étroite qui sépare l’un de l’autre. Nous étions là, entre hommes, à siffler du schnaps et parler de l’avenir. Le maréchal Hindenburg dirigeait toujours le pays, mais mon père disait que ce n’était plus qu’une question de temps. Il avait foi en notre parti et il plaçait Hitler plus haut que tout.

La conversation allait bon train et notre invité ne repartait pas. Du coin des yeux, je voyais Mutti tourner comme une âme en peine, derrière la porte vitrée qui donnait sur le couloir. Elle attendait qu’il s’en allât pour pouvoir préparer le repas. A la fin, mon père l’appela, l’informa que ce soir nous gardions le S.A. à dîner. Ma mère se soumit sans un mot, la mine triste, le teint grisâtre. Elle eut un étrange regard en direction de mon verre, et je me suis dit que ça barderait sûrement, à un moment ou un autre.

Et effectivement, quand Bauer eut regagné ses pénates, après avoir passé la soirée à prophétiser la venue de jours meilleurs, de bouleversements radicaux, il y eu un énième accrochage. Cette fois-ci ils s’attrapèrent à propos du fait qu’elle trouvait totalement irresponsable de me faire trinquer, alors que je n’avais que douze ans.
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