Trouver sa voie ( la part des autres ).

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ubik
le 24/05/2007
Bonjour,

Je me manifeste moins depuis pas mal de temps. Contraintes techniques, tout d’abord : mon lien avec la toile s’est distendu ; en clair : ça ne fonctionne pas toujours.

Et puis, motivation.

En fait, la motivation, en ce moment, est très fluctuante. Et pas que pour internet.

Il y a quelque temps, je réfléchissais ici et je disais que j’avais entrepris une profonde remise en question.

Il est toujours difficile de savoir quelle est la part réelle de la participation des autres dans ce que nous faisons. Inconsciemment ou pas, nous leur offrons une place dans notre activité. Et je m’interroge sur cette présence. Je voudrais vous interpeller sur ce sujet, et ce en me servant de mon propre cas comme exemple.

Mais ce n’est qu’un exemple, une façon d’attraper le sujet par un bout, ne vous laissez pas abuser par le contenu. Je vais parler de musique, d’arts plastiques, de littérature, qui sont mes domaines privilégiés. Mais le fond réel du sujet nous concerne tous : à savoir, que faisons-nous réellement pour nous-mêmes ? Quelle est la part, réelle, symbolique, attribuée, fantasmée, des autres, dans ce que nous faisons ? Comment trouver sa voie intérieure ? Comment savoir si ce que nous faisons a du sens, est utile ou futile, fondamental ou accessoire ? Voilà les vraies questions sous-jacentes à mon discours, et même si vous n’étiez en rien concernés par la musique, les arts plastiques ou la littérature ( ce qui serait votre droit, après tout ), je gage que vous gagnerez à me lire et me répondre, car la base psychologique de mon interrogation est, elle, pratiquement universelle. Enfin, c’est ce que je crois.

Je m’engage donc dans mon sujet, en me basant sur mon expérience personnelle.

Par exemple, je joue des percussions Cubaines. J’ai choisi cet instrument à cause de sa sonorité ronde, chaude, agréable. Ce faisant, sans m’en rendre compte, je me suis enfermé dans le ghetto des musiques dites latines. Je n’y pensais pas au départ, mais je m’en suis vite aperçu. Si j’étais bassiste ou pianiste, on me proposerait plus ou moins de participer à ceci ou cela. Mais jouer de la tumba, ça ne mène qu’à faire de la salsa. Dans mon secteur, les groupes qui se commettent dans ce genre ne sont pas légions, et sont tous déjà pourvus de leur conguero. Donc, on ne me propose jamais rien. Je reste seul dans mon coin.

Bon, je pourrais me dire que je joue dans mon garage, pour mon plaisir, comme beaucoup. Ou que j’accompagne des disques. J’en connais plus d’un qui fonctionne de la sorte. Mais le fait est que travailler un instrument de musique, pour moi, n’a de sens que si on joue ensuite avec d’autres. Je ne fais pas partie de ces gens qui se mettent devant leur piano, déchiffrent leur prélude de Bach et sont tout contents d’arriver à le jouer, dans leur salon, juste pour pouvoir se dire « je sais le faire ». Jouer des percus dans mon coin, ça n’a pas de sens pour moi. Cela dit, j’aime quand je joue et que je parviens à réussir un motif rythmique, que je le sors en place, avec un beau son, etc. Mais ça ne peut suffire pour donner du sens à la chose. Pour moi, la finalité ne peut être que jouer. Avec d’autres, sur scène. Donc, que je le veuille ou pas, les autres font partie de mon projet.

Jouer avec d’autres, disais-je. Oui, mais pour faire un musique qui me plaise. J’ai changé. Avant, j’aurais accompagné un peu de tout, juste pour le plaisir de tourner avec les autres, de sentir que la mécanique est bien huilée. Maintenant, je deviens plus exigeant sur mes choix. En effet, il se trouve que je suis atypique. Je joue des percussions Cubaines, mais mon appartenance musicale est étrangère aux musiques latines, que j’aime bien mais sans plus. Je les trouve trop normées, trop prévisibles, trop codifiées. En réalité, je suis passionné par ces gens qui se situent dans le domaine des musiques dites répétitives, je pense essentiellement à Steve Reich, à Magma, et à King Crimson. Des musiques plus axées sur un esprit de recherche, d’expérimentation.

Donc me voilà en marge, car dans ma région ( Toulon et environs ), très peu de gens s’intéressent à ces musiques, peu commerciales. En marge à cause de ces musiques, qui ne sont pas faciles à écouter et donc ne sont pas susceptibles de rassembler beaucoup de monde. Mais qui ne sont pas non plus faciles à jouer, et font appel à une grande maîtrise technique. Je touche, en théorie, un public restreint : les musiciens de bon niveau, rigoureux sur le plan rythmique. Or, ceux-ci sont occupés à gagner leur vie, et vont vers des musiques qui leur rapporteront de l’argent. Et s’ils sont guidés par la passion, s’ils composent, s’ils s’intéressent à autre chose que le rock, le jazz, le funk ou autres, ils sont bien trop occupés à promouvoir leur propre musique pour participer à la mienne.

Isolé, je me retrouve donc à composer dans mon coin. Je pourrais continuer ainsi, indéfiniment. Cela doit faire une vingtaine d’années que je fonctionne ainsi, et que je mène, d’un bout à l’autre, des morceaux entiers, de la première ébauche jusqu’à la réalisation complète, me mettant à mesure dans la « peau » de chacun de mes musiciens virtuels. Je me débrouille assez bien, tout à l’oreille, pour mettre en place des choses complexes, qui souvent épatent les gens qui s’y connaissent, profs de conservatoire inclus. J’ai une très bonne oreille, on va dire. Et je suis mon premier critique. Si ça n’est pas parfait, j’efface et je recommence.

Mais à quoi ça sert ? Ok, je vais « pondre » de chouettes morceaux, intéressants, passionnants même. Mais qui les écoutera ? Quelle disproportion hallucinante, quand on y pense, entre le temps, l’argent, les efforts, les moyens employés, et les résultats… Mes morceaux, une fois terminés, seront écoutés par une poignée d’amis, de copains. Et encore, sur ceux-ci, qui sera en mesure d’apprécier réellement ?

Dois-je continuer à consacrer mon énergie à cette quête, sans issue ?

Je poursuis, avec les arts plastiques :

Il se trouve que je crée des statuettes en terre. Je suis fasciné, depuis longtemps, par l’art Maya Toltèque, que je trouve empreint de magie. Depuis peu, je mélange plusieurs influences, dans un joyeux esprit d’anachronisme : cette culture méso-américaine, mais aussi la musique, les armes, la seconde guerre mondiale, la technologie… Je crée des espèces de personnages hybrides, croisements improbables entre le moine guerrier, le cosmonaute, le soldat, le musicien…

Je crée cela en terre parce que je n’ai pas les moyens financiers de faire autrement. Mais la terre est très fragile. Je passe un temps fou sur chacune de mes statues, alors qu’en deux secondes on peut la briser.

Et je me dis : à quoi ça sert ? Certes, j’éprouve le besoin de le faire. Il y a un lien entre moi et les statues qui est intemporel et personnel. Je n’ai pas besoin des autres, ce n’est pas comme la musique, que je ne sépare pas de l’idée de représentation, de concert. Mes œuvres, je peux les créer dans mon coin, elles se suffisent à elles-mêmes, je pourrais très bien ne les montrer à personne. Mais reste qu’elles sont fragiles. Je me dis : à terme, tout disparaitra. Moi, c’est évident. Mais aussi elles. C’est si vite cassé !

En ce moment, je n’écris plus : j’ai des bribes qui me viennent, mais rien qui les structure entre elles. Et puis, écrire est trop abstrait : j’ai besoin de faire des choses concrètes, qu’on peut toucher, qu’on peut entendre, et qui me relient au monde de façon plus tangible.

Je m’occupe de ma maison aussi : je l’arrange, je m’emploie à terminer tout ce qui est commencé, en chantier.

Mais quand je ne serai plus là, je me dis que mes enfants, qui en hériteront, ne respecteront peut-être pas ce que j’ai fait. Surtout quand on sait dans quel climat ils sont partis de chez moi : montés à bloc contre moi par leur mère, ils n’ont pas hésité à m’accuser d’attouchements
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